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Citroën jongle avec les paradoxes pour les besoins de la promotion de sa nouvelle marque, DS Automobiles. Ou comment réécrire l'Histoire.
automobile,citroën,ds line,ds,ds5,ds 5,citroën ds,citroën ds 19,ds 21 pallas,salon de genèveRevisitée, redessinée et — dit-on — embellie à l'occasion du Salon de Genève, la Citroën DS5 s'appelle dorénavant DS 5 "tout court". Un changement qui fait suite à la promotion de DS au statut de marque à part entière au sein du Groupe PSA Peugeot Citroën le 1er juin 2014. "La nouvelle DS 5 est plus qu'une voiture. C'est la DS qui lance notre identité de marque", déclarait au Salon de Genève Yves Bonnefont, Président de DS Automobiles. Derrière lui, trônait la caution historique, une magnifique DS 21 Pallas de 1969 dont l'apparence attira l'attention des amateurs de Citroën anciennes.
Il suffit d'un coup d'œil pour comprendre que cet exemplaire brillant de mille feux avait été maquillé pour les besoins de la promotion de la DS 5. Les passionnés de la "Déesse de la route" savent pertinemment que jamais la DS 21 Pallas ne bénéficia en son temps d'une sellerie d'un cuir aussi fin que celui qui habille l'exemplaire du Salon de Genève, encore moins teint d'un marron aussi foncé. Idem pour ce pavillon peint en noir vernis et cette robe d'un bleu violacé ma foi très flatteur.
Autrefois taboue, l'évocation du passé est aujourd'hui systématique
Renseignements pris auprès du constructeur, ce cuir et cette teinte sont issus du nuancier de la DS 5 de 2015 et pas de celui de 1969. Quant au pavillon noir laqué, sa brillance est sensée faire écho au vaste toit vitré de la DS 5. Comme pour nous convaincre qu'il existe une filiation directe et visible entre ces deux voitures dessinées à quarante-neuf ans d'écart (la DS 21 apparut en 1966).
Le chaland sera-t-il dupe ? S'il est chinois, il s'illusionne aisément. Il lui suffit d'une apparition de Sophie Marceau, égérie de DS, et de quelques clichés comparant la DS 5 aux Pallas d'antan pour croire que les grandes Citroën incarnent sans discontinuer depuis l'époque de Charles de Gaulle le prestige à la française. Il en irait autrement si les Chinois avaient conservé comme nous autres Européens le souvenir de ces vieilles Citroën XM et CX croupissant dans une mare de liquide hydraulique à la fin d'une seconde vie de labeur, attelées aux caravanes des gens du voyage.
La DS originelle est une sculpture dont on embellit les formes sur Photoshop
Passe encore que Citroën fasse repeindre en bleu et noir une DS. Mais de là à retoucher grossièrement les clichés de cette 21 Pallas pour tenter d'effacer les défauts propre aux voitures de son âge, voilà qui est plus contestable. Comprenons-nous bien : il ne s'agissait pas de masquer les outrages du temps sur un bel objet de collection mais bien de faire disparaître les témoignages d'un passé jugé honteux par les théologiens de la nouvelle religion DS. Il leur fallait une icône d'apparence parfaite, ils l'ont créée de toutes pièces sur la palette graphique.
automobile,citroën,ds line,ds,ds5,ds 5,citroën ds,citroën ds 19,ds 21 pallas,salon de genèveN'importe quel historien amateur vous le dira : jamais aucune DS, fut-elle une Pallas ne quitta les chaînes avec un capot et des portières aussi nettement alignés que ceux de la DS 21 Pallas bleue photographiée à l'occasion des soixante de la création de la DS. Jamais Citroën n'aurait eu les moyens — encore moins la volonté — de s'astreindre à l'époque à régler les jeux de fonctionnement à des tolérances aussi fines. Même les Mercedes-Benz contemporaines de la DS n'étaient pas aussi soignées.
automobile,citroën,ds line,ds,ds5,ds 5,citroën ds,citroën ds 19,ds 21 pallas,salon de genèveRoland Barthes nous l'apprit dès 1957 dans ses Mythologies : voilà belle lurette que la DS a dépassé sa condition d'objet de grande consommation pour accéder au statut de sculpture roulante, symbole de l'art industriel de la seconde moitié du XXème siècle. En 2015, la DS endosse un nouveau rôle de faire-valoir. En apprêtant de la sorte cette malheureuse Pallas bleue, les responsables de Citroën affirment leur volonté de se réapproprier la DS originale pour en faire le mythe fondateur de leur nouvelle marque. Un sacré revirement de la part d'un constructeur longtemps fâché avec son passé.
La suspension hydropneumatique n'a pas droit de cité sur les DS modernes. Un comble.
automobile,citroën,ds line,ds,ds5,ds 5,citroën ds,citroën ds 19,ds 21 pallas,salon de genèveIl n'y a pas que ces clichés retouchés pour faire hurler les vieux Citroënistes, auteurs d'une pétition pour demander aux dirigeants de PSA de renoncer à leur projet d'abandonner la technologie de la suspension hydropneumatique (lire notre article : "Une pétition pour sauver la suspension Citroën"). Ils rient jaune en voyant le parallèle tiré par le nouveau film publicitaire entre une DS des années 60 et la DS 5 à la suspension conventionnelle infiniment moins confortable. Tandis que l'aïeule survolait la concurrence en termes de sécurité et de confort de marche, sa lointaine descendante ne peut compter que sur son style ampoulé, ses peintures soignées et sa sellerie de cuir aniline pour se démarquer de ses contemporaines. On comprend mieux la tentation de parer des mêmes atours la 21 bleue du Salon de Genève : il s'agit de faire croire au client de 2015 que déjà du temps de la Pallas, les apparences passaient avant la technique. Ce qui relève du contre-sens historique.